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La danse et les livres à offrir pour les fêtes : trois œuvres majeures

Thomas Hahn 23 décembre 2019
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Variations basques © Véronique Mati

Trois livres, trois surprises, trois idées cadeaux de poids : de quoi vous changer le regard sur la danse basque, sur la chorégraphe québecoise Marie Chouinard ou encore sur l’histoire de la danse à Paris. Des photos magnifiques, un regard poétique sur l’enfance, la riche histoire du Théâtre National de Chaillot avec la danse…

C’est un festin de mots, d’images et de dessins. Ça concerne la danse, mais il ne s’agit pas, dans ces livres, de vanter le travail de telle ou tel chorégraphe. L’idée derrière chacun des trois ouvrages ici évoqués et vivement recommandés est de servir des propos universels, humains et humanistes. Sans chanter la gloire de quiconque. Ici, ni ego ni individu. Plutôt des voyages, de la documentation, de la poésie. Des propos et des regards, des voix et des missions qui concernent notre humanité. Du plus épuré au plus complexe.

Costumes de danse – Portrait du Pays Basque

Variations basques © Véronique Mati

Variations basques – Costumes de fêtes et de danse (Éditions du Palais) réunit les photos époustouflantes de Véronique Mati et des textes de Serge Gleizes, journaliste de danse et fin connaisseur de la scène chorégraphique basque. On est d’emblée frappé par ces photos, par leur luminosité, leur brillance, leur énergie et bien sûr par leur beauté. On est comme aspiré par les couleurs et le soleil, les maquillages et les paysages.

Ceci n’est pas un “livre de danse” au sens habituel. Le but n’est pas de refléter un spectacle ou l’univers d’un ou d’une chorégraphe. C’est toute une culture qui est ici au centre, avec ses couleurs, son âme, son architecture. Avec toute son étoffe, drapée de ses étoffes. Il faut dire que Véronique Mati n’est pas une photographe de danse. Son regard se nourrit d’un sens aigu de la forme. La photographie devient ici un art plastique. Forte d’études aux Beaux-Arts et à l’École du Louvre, elle est photographe d’architecture, de natures mortes et de métiers d’art. Pour Variations basques, elle se réinvente même en photographe de mode. De mode basque…

Variations basques © Véronique Mati

Peut-on parler de mode quand chaque jupe, chaque coiffe, chaque masque, chaque chausson, chaque gilet, chaque ruban… reflète des siècles de tradition ? Une sorte de Fashion Week basque ? C’est justement la gageure de ce regard très aigu sur une culture aux racines fortes : jeter enfin une nouvelle lumière – pure, rayonnante et tellement contemporaine – sur des tissus, des danses, des tenues et des ornements qui expriment l’identité d’un peuple et son attachement à ses terres. C’est une plongée dans la beauté d’un monde poétique qui nous est inconnu. Si proche, mais si loin…

Petite citation à l’occasion du carnaval basque : “Sorti de la tanière qu’il avait rejointe à la fin de l’ezpata dantza, lors de la Saint-Martin, début novembre, l’ours mène à nouveau la danse et pointe le bout de sa gueule. Alors, il est fini, cet hiver ? Agitant des cloches à toute volée, des hommes font un bruit d’enfer. C’est l’heure du réveil ! D’autres danseurs, habillés de vêtements composés de vieilles cartouches cousues les unes aux autres, tiennent dans les mains des baguettes en bois qu’ils déploient dans les jambes des spectateurs.”

Variations basques © Véronique Mati

Ainsi va la danse, ainsi vont les fêtes au Pays Basque, avec un sens intemporel des formes et des couleurs. Les photos de Véronique Mati sont d’une force sensorielle inouïe. On croit ici toucher chaque tissu, on sent le soleil et le vent de l’océan sur sa peau, on hume la fraîcheur de la montagne. Ce qui frappe avant tout est la vivacité de ces traditions qui deviennent force de proposition pour un avenir serein. Les visages, dans leur immense majorité, sont jeunes et pleins d‘énergie. Comme une promesse. Le Pays Basque peut devenir une passion ! Et on y danse…

Une enfance poétique

Marie Chouinard est un étendard de la danse québécoise, une vedette des plus grands festivals internationaux. Avec son Body Remix ou son regard sur Le Sacre du printemps et autres Orphée et Eurydice, elle a créé certains classiques de la danse contemporaine, où se croisent esthétisme et sauvagerie, animalité et finesse des formes. À 64 ans, elle est lauréate d’une trentaine de prix de danse internationaux. On pourrait donc attendre d’elle des mémoires à sa gloire. Au lieu de quoi elle nous livre… ses souvenirs de petite fille, de ses premières impressions de la vie à ses 12 ans. D’où le titre : Zéro Douze.

Zéro Douze de Marie Chouinard – Les Éditions du Passage

La simplicité est de mise, et l’écriture se rapproche du haïku japonais, avec la poésie du Petit Prince de Saint-Exupéry. On y apprend certaines choses sur la chorégraphe et sa famille, qui réunit une belle brochette de figures de la scène théâtrale et médiatique du Québec. Mais en lisant Zéro Douze à la manière d’un paparazzo ou avec le regard d’un psychanalyste (elle y dévoile tant de souvenirs et de réflexions de son enfance), ou même en y cherchant des explications de son style chorégraphique si troublant, on passerait à côté de l’essentiel.

Qu’est-ce que l’enfance ? Comme le chantait Romy Haag, transsexuelle et ancien·ne amant de David Bowie : “Il te faut toute une vie pour comprendre ton enfance.” Zéro Douze porte en son cœur un tel aboutissement. Il faut donc le lire en oubliant les exploits chorégraphiques de son autrice. Chacun·e ne pensera ici qu’à sa propre enfance : “j’imagine des fées / tendrement inclinées vers moi / me prodiguant chacune un don / tu seras intelligente / débrouillarde / chanceuse / elles sont sept / alors j’essaye de m’inventer sept qualités / mais je m’y perds / et dois reprendre du début / je m’endors / comblée par l’abondance des possibles.”

Comprendre cette enfance, pleine d’attentes et de découvertes troublantes : “après le bain, nous courrons / toutes nues dans la maison / papa annonce qu’il veut nous photographier / alignées sur la pointe des pieds / et regardant par la fenêtre / à son signal / nous tournons la tête vers lui / quelques semaines plus tard / en voyant la photographie / je découvre ma nudité.”

À ces éclats d’intimité s’ajoutent les dessins de Chouinard, tout aussi sobres. Chaque page est d’une poésie à la fois pure et éclairée. Il est vrai que la chorégraphe de renommée mondiale avait déjà publié un recueil de poèmes, en 2008 : Chantier des extases. Les Éditions du Passage publient maintenant ce Zéro Douze qui fait planer, plonger et réfléchir, recréant peut-être notre lien avec une vie oubliée. Ce n’est pas un livre de danse, mais il faut sans doute avoir dansé pour pouvoir l’écrire.

Chaillot – Palais de la danse

Chaillot – Palais de la danse

En songeant aux repas des fêtes, le festin littéraire commencerait par Zéro Douze en apéritif et se terminerait sur une magnifique bûche de Noël basque. Au beau milieu s’érigerait un plat de résistance, relevé et copieux : Chaillot – Palais de la danse. Aucun autre théâtre parisien n’est à ce point le reflet de son époque. Ce livre monumental retrace la construction du Palais de Chaillot (à partir de la démolition de son prédécesseur, le très sirupeux Palais du Trocadéro), ses vocations républicaines, son rôle dans la Résistance, sa symbolique, son âme, ses aspirations…

L’idée derrière cet ouvrage vient de Didier Deschamps, directeur de ce théâtre depuis 2011 et à l’origine de son appellation actuelle, Théâtre National de la Danse. Il s’agit de montrer les liens entre Chaillot et la danse, qui ont été riches mais largement oubliés. Au fil des 270 pages, se croisent les contributions de chercheurs, de critiques de danse, d’historiens, d’architectes et autres universitaires. Elles croisent les “Regards” de personnalités qu’on identifie par leur nom : Jack Lang, Abd Al Malik, Lilian Thuram, Angelin Preljocaj, Ohad Naharin, José Montalvo, Carolyn Carlson, Laure Adler… Mais cet ouvrage est grand comme un palais et l’équilibre entre textes et images est parfait.

Les photos grand format des différentes époques (chantiers, ouvriers, urbanisme, œuvres d’art…), nombreuses et impressionnantes, reflètent l’histoire de la France, si ce n’est l’histoire mondiale. Par son iconographie, ce livre est une mine de rappels historiques particulièrement émouvants. 1990 : Nelson Mandela lors de son premier déplacement européen, place du Trocadéro. 1936 : les ouvriers en grève, sur le chantier de l’Exposition Internationale. 2015 : le chantier à ciel ouvert de la nouvelle salle Firmin Gémier. 1954 : assemblée des 14 pays membres de l’OTAN. 1923 : rassemblement des Garibaldiens au Palais du Trocadéro. 1912 : vente de la structure du Théâtre national ambulant Gémier…

Mais aussi : Jean Vilar sur les marches de Chaillot, Firmin Gémier entouré de sa troupe… Et la danse, demandez-vous ? Elle s’infiltre partout, elle s’incruste, elle est en embuscade ou au premier plan… puisque ce livre n’est pas à vocation didactique ou universitaire. Il privilégie le plaisir, la joie, l’exaltation… Affiches de toutes les époques, photos de spectacles de danse à tout va. Des figures aussi historiques qu’Anna Pavlova (La Mort du cygne), Isadora Duncan et la danseuse flamenca La Argentina se sont produites à Chaillot dans les années 1920 et 1930. Déjà ! De bout en bout, ce livre est truffé de surprises historiques, comme ce cliché du boxeur Ray Sugar Robinson en costume cravate, en saut de ballet sur le parvis, devant la Tour Eiffel, en 1954. Il est vrai cependant que la plupart des photos de danse sont de notre époque. Et elles sont légion…

Thomas Hahn

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